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cent mille francs de la générosité jadis dédaignée, de venir s’humilier, affronter les sermons sans fin, les ricanements bêtes, le tout assaisonné de plaisanteries berrichonnes, de mots de terroir, de ces dictons justes en général, trouvés par des esprits courts mais logiques, et qui blessent dans leur patois trivial, comme l’injure d’un inférieur.

Pauvre Claire ! Son mari, son père allaient être humiliés en elle-même. Il faudrait avouer l’insuccès de l’un, la débâcle de cette maison que l’autre avait fondée et dont il était si fier de son vivant. Cette idée qu’elle allait avoir à défendre tout ce qu’elle aimait le plus au monde, faisait sa force et en même temps sa faiblesse…

Il était onze heures quand elle arriva à Savigny. Comme elle n’avait prévenu personne de sa visite, la voiture du château ne se trouvait pas à la gare et elle dut faire le chemin à pied.

Le froid était vif, la route dure et sèche La bise sifflait librement dans les plaines arides et sur la rivière, où elle s’abattait sans obstacle à travers les arbres, les taillis défeuillés. Sous le ciel bas, le château apparaissait déroulant sa longue ligne de petits murs et de haies qui le séparaient des champs environnants. Les ardoises de la toiture étaient sombres comme le ciel qu’elles reflétaient ; et toute cette magnifique résidence d’été transformée par l’hiver, âpre, muette, sans une feuille à ses arbres ni un pigeon sur ses toits, semblait n’avoir gardé de vivant que le frissonnement humide de ses pièces d’eau et la plainte des grands peupliers,