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avec l’impression d’un bras ami qui aurait soutenu sa tête faible.

Soudain elle se réveilla, et, comme nous le disions tout à l’heure, dans un état extraordinaire. C’était une faiblesse, une angoisse de tout son être, quelque chose d’inexprimable. Il lui semblait qu’elle ne tenait plus à la vie que par un fil tendu, tendu à se briser, et dont la vibration nerveuse donnait à tous ses sens une finesse, une acuité surnaturelles. Il faisait nuit. La chambre où elle était couchée – on lui avait donné la chambre de ses parents, plus aérée, plus spacieuse que sa petite alcôve – se trouvait à demi dans l’ombre. La veilleuse faisait tournoyer au plafond ses ronds lumineux, cette espèce de Grande-Ourse mélancolique qui occupe l’insomnie des malades ; et sur la table de travail, la lampe baissée, limitée par l’abat-jour, éclairait seulement l’ouvrage épars et la silhouette de la maman Delobelle assoupie sur son fauteuil.

Dans la tête de Désirée, qui lui paraissait plus légère à porter que d’habitude, il se fit tout à coup un grand va-et-vient de pensées, de souvenirs. Tout le lointain de sa vie semblait se l’approcher d’elle. Les moindres faits de son enfance, des scènes qu’elle n’avait pas comprises alors, des mots entendus comme en rêve, se représentaient à son esprit. L’enfant s’en étonnait, sans s’effrayer, elle ne savait pas qu’avant le grand anéantissement de la mort on a souvent ainsi un moment de surexcitation étrange, comme si tout l’être exaspérait ses facultés et ses forces dans une dernière lutte inconsciente.