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tête levée, les yeux secs. Sans savoir sa route, elle va droit, tout droit devant elle.

Les rues du Marais, noires, étroites, où clignote un bec de gaz de loin en loin, se croisent, se contournent, et à chaque instant dans cette recherche fiévreuse, elle revient sur ses pas. Il y a toujours quelque chose qui se met entre elle et la rivière. Pourtant, ce vent qui souffle lui en apporte la fraîcheur humide au visage. Vraiment on dirait que l’eau recule, s’entoure de barrières, que des murs épais, des maisons hautes se mettent exprès devant la mort ; mais la petite boiteuse a bon courage, et sur le pavé inégal des vieilles rues, elle marche, elle marche.

Avez-vous vu quelquefois, le soir d’un jour de chasse, un perdreau blessé s’enfuir au creux d’un sillon ? il s’affaisse, il rase, traînant son aile sanglante vers quelque abri où il pourra mourir en repos. La démarche hésitante de cette petite ombre suivant les trottoirs, frôlant les murs, donne tout à fait cette impression là. Et songer qu’à cette même heure presque dans le même quartier, quelqu’un erre aussi par les rues, attendant, guettant, désespéré. Ah ! s’ils pouvaient se rencontrer. Si elle l’abordait, ce passant fiévreux, si elle lui demandait sa route :

– S’il vous plaît, monsieur. Pour aller à la Seine ?…

Il la reconnaîtrait tout de suite :

– Comment ! c’est vous, mam’zelle Zizi ? Que faites-vous dehors à pareille heure ?

– Je vais mourir, Frantz. C’est vous qui m’avez ôté le goût de vivre.