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ingrats ou des égoïstes, et, à coup sûr, des gens très mal élevés. Savez-vous ce que je viens d’apprendre en bas, par la concierge, qui me regardait du coin de l’œil en me narguant ?… Eh bien, Frantz Risler est parti. Il a quitté la maison tantôt et Paris peut-être à l’heure qu’il est, sans seulement venir me serrer la main, me remercier de l’accueil qu’on lui faisait ici… Comment trouvez-vous cela ?… Car il ne vous a pas dit adieu à vous autres non plus, n’est-ce-pas ? Et pourtant, il n’y a pas un mois, il était toujours fourré chez nous, sans reproche.

La maman Delobelle eut une exclamation de surprise et de chagrin véritable. Désirée, au contraire, ne dit pas un mot, ne fit pas un geste. Toujours le même petit glaçon. Le laiton qu’elle tournait ne s’arrêta même pas dans ses doigts agiles…

– Ayez donc des amis, continuait l’illustre Delobelle. Qu’est-ce que je lui ai donc fait encore à celui-là ?

C’était une des ses prétentions de se croire poursuivi par la haine du monde entier. Cela faisait partie de son attitude dans l’existence ; à ce crucifié de l’art. Doucement, avec des tendresses presque maternelles, car il y a toujours de la maternité dans l’affection indulgente, pardonnante, qu’inspirent ces grands enfants, la maman Delobelle consola son mari, le cajola, ajouta une friandise au dîner. Au fond le pauvre diable était réellement affecté : Frantz parti, l’emploi d’éternel amphitryon tenu autrefois par Risler aîné restait