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brouillard de toits gris, de flèches, de coupoles qu’on lui dit être Paris, elle emporta d’un regard, dans un coin de sa mémoire, tout ce paysage fleuri, parfumé d’amour et d’aubépines de juin, comme si jamais, plus jamais, elle ne devait le revoir.

Le bouquet que la petite boiteuse avait rapporté de celle belle promenade parfuma sa chambre pendant huit jours. Il s’y mêlait parmi les jacinthes, les violettes, l’épine blanche, une foule de petites fleurs innomées, ces fleurs des humbles que des graines voyageuses font pousser un peu partout au bord des routes. En regardant ces minces corolles bleu pâle, rose vif, toutes ces nuances si fines que les fleurs ont inventées avant les coloristes, bien des fois, pendant ces huit jours, Désirée refit sa promenade. Les violettes lui rappelaient le petit tertre de mousse où elle les avait cueillies, cherchées sous les feuilles, en mêlant ses doigts à ceux de Frantz. Ces grandes fleurs d’eau avaient été prises au bord d’un fossé encore tout humide des pluies d’hiver, et pour atteindre, elle s’était appuyée bien fort au bras de Frantz. Tous ces souvenirs lui revenaient en travaillant. Pendant ce temps-là, le soleil, qui entrait par la fenêtre ouverte, faisait étinceler les plumes des colibris. Le printemps, la jeunesse, les chants, les parfums transfiguraient ce triste atelier de cinquième étage, et Désirée disait sérieusement à la maman Delobelle, en respirant le bouquet de son ami :

– As-tu remarqué, maman, comme les fleurs sentent bon cette année ?…