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de société, ses amis garçons, quelques commerçants viveurs, presque jamais de femmes ; les femmes ont de trop bons yeux. Madame Dobson était l’unique amie. On organisait de grands dîners, des promenades sur l’eau, des feux d’artifice. De jour en jour la situation du pauvre Risler devenait plus ridicule, plus choquante. Quand il arrivait, le soir, éreinté, mal vêtu, il lui fallait monter vite à sa chambre faire un brin de toilette.

– Nous avons du monde à dîner, lui disait sa femme ; dépêchez-vous.

Et il se mettait à table le dernier, après une poignée de main circulaire à ses invités, des amis de Fromont jeune, dont il connaissait à peine les noms. Chose singulière, les affaires de la fabrique se traitaient souvent à cette table où Georges amenait ses connaissances du cercle avec l’assurance tranquille du monsieur qui paye.

« Déjeuners et dîners d’affaires ! » Aux yeux de Risler ce mot-là expliquait tout : la présence continuelle de l’associé, le choix des convives, et les merveilleuses toilettes de Sidonie qui se faisait belle et coquette dans l’intérêt de la maison. Cette coquetterie de sa maîtresse mettait le jeune Fromont au désespoir. À toute heure du jour il arrivait pour la surprendre, inquiet, méfiant, craignant de laisser longtemps à elle-même cette nature dissimulée et pervertie.

– Que devient donc ton mari ?… demandait le père Gardinois d’un ton goguenard à sa petite-fille… Pourquoi ne vient-il pas plus souvent ?

Claire excusait Georges, mais cet abandon constant commençait à l’inquiéter. Maintenant elle pleurait en