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la joie, la terreur, la surprise, à l’aide d’un couteau et d’une fourchette savamment manœuvrés. La maman Delobelle les écoutait en souriant.

On n’est pas la femme d’un acteur depuis trente ans, sans avoir un peu pris l’habitude de ces singulières façons d’être.

Mais un petit coin de la table se trouvait séparé du reste des convives comme par une nuée qui interceptait les mots bêtes, les gros rires, les vanteries. Frantz et Désirée se parlaient à demi-voix, sans rien entendre de ce qui se disait autour d’eux. Des choses de leur enfance, des anecdotes de voisinage, tout un passé vague, qui ne valait que par la communauté des souvenirs évoqués, par l’étincelle pareille montant à leurs yeux, faisaient les frais de leur douce causerie. Tout à coup le nuage se déchira, et la terrible voix de Delobelle interrompit le dialogue :

– Tu n’as pas vu ton frère ? demanda-t-il à Frantz pour n’avoir pas l’air de trop le laisser de côté… tu n’as pas vu sa femme non plus ?… Ah ! tu vas en trouver une Madame. Des toilettes, mon cher, et un chic ! Je ne te dis que ça. Ils ont un vrai château à Asnières. Les Chèbe sont là-bas aussi… Ah ! tout ça, mon vieux, ça nous distance. On est riche, on dédaigne les camarades… Jamais un mot, jamais une visite. Pour moi, tu comprends, je m’en moque, mais c’est vraiment blessant pour ces dames.

– Oh ! papa, dit Désirée vivement, vous savez bien que nous autres, nous aimons trop Sidonie pour lui en vouloir.