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aujourd’hui. Mais le grand homme se moquait bien de cela. Il avait assez à faire à débarrasser ses poches. D’abord il en tira, un superbe pâté ; « pour ces dames », disait-il, oubliant qu’il l’adorait. Un homard parut ensuite ; puis un saucisson d’Arles, des marrons glacés, des cerises, les premières !

Pendant que le financier enthousiasmé, rehaussait un col de chemise invisible, que le comique faisait « gnouf ! gnouf ! » d’un geste oublié des Parisiens depuis dix ans, Désirée pensait avec terreur au trou immense que ce repas improvisé allait creuser dans les pauvres ressources de la semaine, et la maman Delobelle, affairée, bouleversait tout le buffet pour trouver le nombre de couverts suffisant.

Le repas fut très gai Les deux comédiens dévoraient à la grande joie de Delobelle qui remuait avec eux de vieux souvenirs de cabotinage. Rien de plus lugubre. Imaginez des débris de portants, des lampions éteints, un vieux fonds d’accessoires moisis et tombant en miettes.

Dans une espèce d’argot familier, trivial, tutoyeur, ils se rappelaient leurs innombrables succès, car tous trois, à les entendre, avaient été acclamés, chargés de couronnes, portés en triomphe par des villes entières. Tout en parlant, ils mangeaient comme mangent les comédiens, assis de trois quarts, face au public, avec cette fausse hâte des convives de théâtre devant un souper de carton, cette façon d’alterner les mots et les bouchées, de chercher des effets en posant son verre, en rapprochant sa chaise, d’exprimer l’intérêt, l’étonnement,