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– Nous verrons… nous verrons… Attendons la fin de l’année.

La fin de l’année, c’est-à-dire l’inventaire. – L’inventaire ! – C’est le mot magique. Toute l’année on va, on va, dans le tourbillon des affaires. L’argent entre, sort, circule, en attire d’autre, se disperse ? et la fortune de la maison, comme une couleuvre brillante, insaisissable, sans cesse en mouvement s’allonge, se raccourcit, diminue ou s’augmente, sans qu’il soit possible de se rendre compte de son état avant un moment de repos. À l’inventaire seulement, on saura ce qu’il en est, et si cette année, qui semble bonne, le sera définitivement.

En général, il se fait vers la fin de décembre, aux approches de Noël ou du jour de l’an. Comme il exige des heures supplémentaires de travail, pour le faire on s’attarde très avant dans la nuit. Toute la maison est sur pied. Les lampes, qui restent allumées dans les bureaux longtemps après leur fermeture, semblent participer à l’air de fête qui anime cette dernière semaine de l’année, où tant de fenêtres s’éclairent aux soirées de famille. Jusqu’au plus petit employé de la maison, chacun s’intéresse aux résultats de l’inventaire. Les augmentations, les gratifications du jour de l’an dépendront de ce bienheureux chiffre. Aussi, pendant que se débattent les intérêts immenses d’une riche fabrique, à des cinquièmes étages ou dans les petits appartements de banlieue, les femmes d’employés, les enfants, les vieux parents parlent de l’inventaire dont le résultat se