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d’accompagner sa jeune femme dans le monde, et préférait à toutes ses habitudes de vieux garçon, la pipe, la brasserie.

Il fallait voir de quel air de dédain aristocratique M. Chèbe prononçait ce mot : » la brasserie !… » Et pourtant presque chaque soir il allait y rejoindre Risler, et l’accablait de reproches si l’autre manquait une fois au rendez-vous.

Au fond de tout ce verbiage ; le commerçant de la rue du Mail, – commission, exportation – avait une idée bien nette. Il voulait quitter son magasin, se retirer des affaires, et depuis quelque temps il songeait à aller voir Sidonie pour l’intéresser à ses nouvelles combinaisons. Ce n’était donc pas le moment de faire des scènes désagréables, de parler d’autorité paternelle et d’honneur conjugal. Quant à madame Chèbe, un peu moins convaincue que tout à l’heure de l’infaillibilité de sa fille, elle s’enfermait dans le plus profond silence. La pauvre femme aurait voulu être sourde, aveugle, n’avoir jamais connu mademoiselle Planus.

Comme tous ceux qui ont été très malheureux, elle aimait à s’engourdir dans un semblant de tranquillité, et l’ignorance lui semblait préférable à tout. La vie n’était donc pas assez triste, bon Dieu ! Et puis enfin Sidonie avait toujours été une brave fille : pourquoi ne serait-elle pas une brave femme ?

Le jour tombait. Gravement, M. Chèbe se leva pour fermer les volets de la boutique et allumer un bec de gaz qui éclaira la nudité des murs, le brillant des casiers vides, tout ce