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Pendant que tout son château se transformait aux caprices d’une jeune femme, le vieux Gardinois continuait son existence rétrécie de richard ennuyé, oisif et impotent. Ce qu’il avait encore trouvé de mieux comme distraction c’était l’espionnage. Les allées et venues des domestiques, les propos qui se tenaient à la cuisine sur son compte, le panier plein de légumes et de fruits qu’on apportait tous les matins du potager à l’office, étaient l’objet d’investigations continuelles. Il n’y avait pas pour lui de plaisir plus grand que de prendre quelqu’un en faute. Cela l’occupait, lui donnait de l’importance, et longuement, aux repas, devant le silence des hôtes, il racontait le méfait, les ruses dont il s’était servi pour le surprendre, la mine du coupable, ses terreurs, ses supplications.

Pour cette surveillance perpétuelle de ses gens, le bonhomme avait adopté un banc de pierre incrusté dans le sable, derrière un immense paulownia. Sans lire ni penser, il restait là des journées entières, épiant qui entrait ou sortait. Pour la nuit, il avait imaginé autre chose. Sous le grand vestibule de l’entrée où menaient les perrons chargés de fleurs, il avait fait pratiquer une ouverture correspondant à sa chambre située à l’étage au-dessus. Un tuyau acoustique perfectionné devait lui amener là-haut tous les bruits du rez-de-chaussée, jusqu’aux conversations des domestiques prenant le frais le soir sur le perron.

Malheureusement, l’instrument trop parfait exagérait tous les sons, les brouillait, les prolongeait, et le tic-tac continuel et régulier d’une grosse horloge, les cris