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elle ne songeait qu’à écraser sa rivale. Ces occasions, d’ailleurs, devenaient rares, Claire étant de plus en plus occupée de son enfant, Pourtant, lorsque le grand-père Gardinois faisait un voyage à Paris, il ne manquait jamais de réunir les deux ménages. La gaieté du vieux paysan avait besoin pour s’épanouir de cette petite Sidonie que ses plaisanteries n’effarouchaient pas. Il les faisait dîner tous quatre chez Philippe, son restaurant de choix, dont il connaissait les patrons, les garçons, le sommelier, dépensait beaucoup d’argent, et de là les conduisait dans une loge louée d’avance à l’Opéra-Comique ou au Palais-Royal.

Au théâtre, il riait fort, parlait familièrement aux ouvreuses comme aux garçons de chez Philippe, réclamait tout haut des tabourets pour les dames, et à la sortie voulait avoir les paletots, les fourrures avant tout le monde, comme s’il eût été le seul parvenu trois fois millionnaire dans la salle.

Pour ces parties un peu vulgaires, où son mari le plus souvent évitait de se trouver, Claire, avec son tact habituel, s’habillait sobrement, passait inaperçue. Sidonie, au contraire, toutes voiles dehors, étalée au-devant des loges, riait de tout son cœur aux histoires du grand-père, heureuse d’être descendue des troisièmes ou des secondes, ses places d’autrefois, à ces belles avant-scènes ornées de glaces, dont le bord de velours lui semblait fait exprès pour ses gants clairs, sa lorgnette d’ivoire et son éventail à paillettes. La banalité des endroits publics, le rouge et l’or des tentures, c’était du vrai luxe pour elle. Elle s’y épanouissait comme une