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commerce parisien venu là pour lui faire honneur… Et le grand coup d’orgue de la fin, plus solennel à cause de la porte de l’église large ouverte qui fait participer la rue entière à la cérémonie de famille, les sons passant le porche en même temps que le cortège, les exclamations du quartier, une brunisseuse en grand tablier de lustrine disant tout haut : « Le marié n’est pas beau, mais la mariée est crânement gentille… » C’est cela qui vous rend fier quand on est le marié…

Ensuite le déjeuner à la fabrique, dans un atelier orné de tentures et de fleurs, la promenade au Bois, une concession faite à la belle-mère, madame Chèbe, qui, en sa qualité de petite bourgeoise parisienne, n’aurait pas cru sa fille mariée sans un tour de lac ni une visite à la cascade… Puis la rentrée pour le dîner, pendant que les lumières s’allumaient sur le boulevard, où les gens se retournaient pour voir passer la noce, une vraie noce cossue, menée au train de ses chevaux de louage jusqu’à l’escalier de Véfour.

Il en était là de son rêve. À cette heure, engourdi de fatigue et de bien-être, le bon Risler regardait vaguement cette immense table de quatre-vingts couverts, terminée aux deux bouts par un fer à cheval, surmontée de visages souriants et connus, où il lui semblait voir son bonheur reflété dans tous les yeux. On arrivait à la fin du dîner. La houle des conversations particulières flottait tout autour de la table. Il y avait des profils tournés l’un vers l’autre, des manches d’habit noir derrière des corbeilles d’asclépias, une mine rieuse d’enfant au-dessus d’une glace aux