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reçu du régiment quelque mauvaise nouvelle qu’il ne veut pas me dire ?… L’aîné est peut-être malade… »

Mais elle n’osait rien demander et s’occupait seulement à faire taire trois petits blondins couleur d’épis brûlés, qui riaient autour de la nappe en croquant une bonne salade de radis noirs à la crème.

À la fin, le forgeron repoussa son assiette en colère :

« Ah ! les gueux ! ah ! les canailles !…

— À qui en as-tu, voyons, Lory ? »

Il éclata.

« J’en ai, dit-il, à cinq ou six drôles qu’on voit rouler depuis ce matin dans la ville en costume de soldats français, bras dessus, bras dessous avec les Bavarois… C’est encore de ceux-là qui ont… comment disent-ils ça ?… opté pour la nationalité de Prusse… Et dire que tous les jours nous en voyons revenir de ces faux Alsaciens !… Qu’est-ce qu’on leur a donc fait boire ? »

La mère essaya de les défendre.

« Que veux-tu, mon pauvre homme, ce n’est pas tout à fait leur faute à ces enfants… C’est si loin cette Algérie d’Afrique où on les envoie !… Ils ont le mal du pays là-bas ; et la tentation est bien forte pour eux de revenir, de n’être plus soldats. »