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près de son lit, en retenant ses larmes. Le colonel écoutait religieusement, souriait d’un air entendu, approuvait, critiquait, nous expliquait les passages un peu troubles. Mais où il était beau surtout, c’est dans les réponses qu’il envoyait à son fils : « N’oublie jamais que tu es Français, lui disait-il… Sois généreux pour ces pauvres gens. Ne leur fais pas l’invasion trop lourde… » Et c’étaient des recommandations à n’en plus finir, d’adorables prêchi-prêcha sur le respect des propriétés, la politesse qu’on doit aux dames, un vrai code d’honneur militaire à l’usage des conquérants. Il y mêlait aussi quelques considérations générales sur la politique, les conditions de la paix à imposer aux vaincus. Là-dessus, je dois le dire, il n’était pas exigeant :

« — L’indemnité de guerre, et rien de plus… À quoi bon leur prendre des provinces ?… Est-ce qu’on peut faire de la France avec de l’Allemagne ?… »

« Il dictait cela d’une voix ferme, et l’on sentait tant de candeur dans ses paroles, une si belle foi patriotique, qu’il était impossible de ne pas être ému en l’écoutant.

« Pendant ce temps-là, le siège avançait toujours, pas celui de Berlin, hélas !… C’était le moment du grand froid, du bombardement, des épidémies, de la famine. Mais, grâce à nos