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corde à nœuds pend sur le devant. Avant de commencer sa prière, le Japonais s’incline et frappe de cette corde un timbre qui brille au pied de l’autel ; c’est ainsi qu’il appelle l’attention de ses dieux. Je prenais un plaisir d’enfant à faire sonner ces timbres magnifiques, à laisser mon rêve s’en aller, roulé dans cette onde sonore, jusqu’au fond de ces Asies d’Orient où le soleil levant semble avoir tout doré, depuis les lames de leurs grands sabres jusqu’aux tranches de leurs petits livres…

Quand je sortais de là, les yeux pleins de tous ces reflets de laque, de jade, de couleurs éclatantes des cartes géographiques, les jours surtout où le colonel m’avait lu une de ces odes japonaises d’une poésie chaste, distinguée, originale, si profonde, les rues de Munich me faisaient un singulier effet. Le Japon, la Bavière, ces deux pays nouveaux pour moi, que je connaissais presque en même temps, que je voyais l’un à travers l’autre, se brouillaient, se confondaient dans ma tête, devenaient une espèce de pays vague, de pays bleu… Cette ligne bleue des voyages que je venais de voir sur les tasses japonaises dans le trait de nuages et l’esquisse de l’eau, je la retrouvais sur les fresques bleues des murailles… Et ces soldats bleus qui faisaient l’exercice sur les