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« Venez avec nous, Dollinger. Ne restez pas là, mon ami… »

Mais Dollinger ne peut pas se lever. Il s’agite, il appelle, et le cortège défile pendant des heures ; et lorsqu’il s’éloigne au jour tombant, toutes ces belles vallées pleines de clochers et d’usines se font silencieuses. L’Alsace entière est partie. Il n’y a plus que le juge de Colmar qui reste là-haut, cloué sur son pilori, assis et inamovible…

… Soudain la scène change. Des ifs, des croix noires, des rangées de tombes, une foule en deuil. C’est le cimetière de Colmar, un jour de grand enterrement. Toutes les cloches de la ville sont en branle. Le conseiller Dollinger vient de mourir. Ce que l’honneur n’avait pas pu faire, la mort s’en est chargée. Elle a dévissé de son rond de cuir le magistrat inamovible, et couché tout de son long l’homme qui s’entêtait à rester assis…

Rêver qu’on est mort et se pleurer soi-même, il n’y a pas de sensation plus horrible. Le cœur navré, Dollinger assiste à ses propres funérailles ; et, ce qui le désespère encore plus que sa mort, c’est que, dans cette foule immense qui se presse autour de lui, il n’a pas un ami, pas un parent. Personne de Colmar, rien que des Prussiens ! Ce sont des soldats prussiens qui ont fourni l’escorte, des magistrats