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de bruyères, pleine de terriers au pied des arbres jaunes, avec ce grand rideau de chênes où il me semblait voir la mort cachée partout, la petite allée verte où ma mère Perdrix avait promené tant de fois sa nichée au soleil de mai, où nous sautions tout en piquant les fourmis rouges qui nous grimpaient aux pattes, où nous rencontrions des petits faisans farauds, lourds comme des poulets, et qui ne voulaient pas jouer avec nous.

Je la vis comme dans un rêve, ma petite allée, au moment où une biche la traversait, haute sur ses pattes menues, les yeux grands ouverts et prête à bondir. Puis la mare où l’on vient en partie par quinze ou trente, tous du même vol, levés de la plaine en une minute, pour boire à l’eau de la source et s’éclabousser de gouttelettes qui roulent sur le lustre des plumes… Il y avait au milieu de cette mare un bouquet d’aulnettes très fourré ; c’est dans cet îlot que nous nous réfugiâmes. Il aurait fallu que les chiens eussent un fameux nez pour venir nous chercher là. Nous y étions depuis un moment, lorsqu’un chevreuil arriva, se traînant sur trois pattes et laissant une trace rouge sur les mousses derrière lui. C’était si triste à voir que je cachai ma tête sous les feuilles ; mais j’entendais le blessé boire dans la mare en soufflant, brûlé de fièvre…