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nistres, des révolutions, des choses terribles, tout un côté de la ville qui brûlait, le pont du chemin de fer s’écroulant dans la rivière. Mais ce que je trouvai encore de plus fort, le voici :

Ce soir-là, j’arrivai très en retard. Ma mère, qui m’attendait depuis une grande heure, guettait, debout, en haut de l’escalier.

« D’où viens-tu ? » me cria-t-elle.

Dites-moi ce qu’il peut tenir de diableries dans une tête d’enfant. Je n’avais rien trouvé, rien préparé. J’étais venu trop vite… Tout à coup il me passa une idée folle. Je savais la chère femme très pieuse, catholique enragée comme une Romaine, et je lui répondis dans tout l’essoufflement d’une grande émotion :

« Ô maman… Si vous saviez !…

— Quoi donc ?… Qu’est-ce qu’il y a encore ?…

— Le pape est mort.

— Le pape est mort !… » fit la pauvre mère, et elle s’appuya toute pâle contre la muraille. Je passai vite dans ma chambre, un peu effrayé de mon succès et de l’énormité du mensonge ; pourtant, j’eus le courage de le soutenir jusqu’au bout. Je me souviens d’une soirée funèbre et douce ; le père très grave, la mère atterrée… On causait bas autour de la