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à se défaire de ce coin bien-aimé. Pour quelle raison ? je l’ignore. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’ils commençaient à trouver que la chose traînait trop, et à partir de ce jour, ils vinrent régulièrement tous les dimanches pour harceler le malheureux, l’obliger à tenir sa promesse. De la route, dans ce grand silence du dimanche, où la terre elle-même se repose d’avoir été labourée, ensemencée toute la semaine, j’entendais cela très bien. Les boutiquiers causaient, discutaient entre eux en jouant au tonneau, et le mot argent sonnait sec dans ces voix aigres comme les palets qu’on heurtait. Le soir, tout le monde s’en allait ; et quand le bonhomme avait fait quelques pas sur la route pour les reconduire, il rentrait bien vite, et refermait tout heureux sa grosse porte, avec une semaine de répit devant lui. Pendant huit jours, la maison devenait silencieuse. Dans le petit jardin brûlé de soleil, on n’entendait rien que le sable écrasé d’un pas lourd, ou traîné au râteau.

De semaine en semaine cependant, le vieux était plus pressé, plus tourmenté. Les boutiquiers employaient tous les moyens. On amenait les petits-enfants pour le séduire : « Voyez-vous, grand-père, quand la maison sera vendue, vous viendrez habiter avec nous. Nous serons si heureux tous ensemble !… » Et c’étaient des