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toutes les poussières de ces planches flotter autour de mon œuvre, comme si je n’avais pas réglé moi-même tous ces gestes, toutes ces voix et les moindres détails de la mise en scène, depuis le mécanisme des portes jusqu’à la montée du gaz. C’est une impression singulière. Je voudrais écouter, mais je ne peux pas. Tout me gêne, tout me dérange. Ce sont des clefs brusques aux portes des loges, des tabourets qu’on remue, des quintes de toux qui s’encouragent, se répondent, des chuchotements d’éventails, des étoffes froissées, un tas de petits bruits qui me paraissent énormes ; puis des hostilités de gestes, d’attitudes, des dos qui n’ont pas l’air content, des coudes ennuyés qui s’étalent, semblent barrer tout le décor.

Devant moi, un tout jeune homme à binocle prend des notes d’un air grave, et dit :

« C’est enfantin. »

Dans la loge à côté, on cause à voix basse :

« Vous savez que c’est pour demain.

— Pour demain ?

— Oui, demain sans faute. »

Il paraît que demain est très important pour ces gens-là, et moi qui ne pense qu’à aujourd’hui !… À travers cette confusion, pas un de mes mots ne porte, ne fait flèche. Au lieu de monter, d’emplir la salle, les voix des acteurs s’arrêtent au bord de la rampe et retombent