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de misères. Tout autour, la splendeur et le bruit des Champs-Élysées, un roulement continu, un cliquetis de harnais et de pas fringants, les portes cochères lourdement refermées, les calèches ébranlant les porches, des pianos étouffés, les violons de Mabille, un horizon de grands hôtels muets, aux angles arrondis, avec leurs vitres nuancées par des rideaux de soie claire et leurs hautes glaces sans tain, où montent les dorures des candélabres et les fleurs rares des jardinières…

Cette ruelle noire des Douze-Maisons, éclairée seulement d’un réverbère au bout, était comme la coulisse du beau décor environnant. Tout ce qu’il y avait de paillons dans ce luxe venait se réfugier là : galons de livrées, maillots de clowns, toute une bohème de palefreniers anglais, d’écuyers du Cirque, les deux petits postillons de l’Hippodrome avec leurs poneys jumeaux et leurs affiches-réclames, la voiture aux chèvres, les guignols, les marchandes d’oublies ; et puis des tribus d’aveugles qui revenaient le soir, chargés de pliants, d’accordéons, de sébiles. Un de ces aveugles se maria pendant que j’habitais ce passage. Cela nous valut toute la nuit un concert fantastique de clarinettes, de hautbois, d’orgues, d’accordéons, où l’on voyait très bien défiler tous les ponts de Paris avec leurs psalmodies différentes… À l’or-