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« Tout ceci ne nous dit pas ce que vous faisiez du pétrole qu’on a trouvé sur vous quand les soldats vous ont arrêtée.

— Je brûlais Paris, mon bon monsieur, répondit la vieille très tranquillement. Je brûlais Paris parce que je le hais, parce qu’il rit de tout, parce que c’est lui qui nous a tuées. C’est Paris qui a envoyé des savants pour analyser nos belles sources miraculeuses et dire au juste ce qu’il entrait de fer et de soufre dedans. Paris s’est moqué de nous sur ses théâtres. Nos enchantements sont devenus des trucs, nos miracles des gaudrioles, et l’on a vu tant de vilains visages passer dans nos robes roses, nos chars ailés, au milieu de clairs de lune en feu de Bengale, qu’on ne peut plus penser à nous sans rire… Il y avait des petits enfants qui nous connaissaient par nos noms, nous aimaient, nous craignaient un peu ; mais au lieu des beaux livres tout en or et en images, où ils apprenaient notre histoire, Paris maintenant leur a mis dans les mains la science à la portée des enfants, de gros bouquins d’où l’ennui monte comme une poussière grise et efface dans les petits yeux nos palais enchantés et nos miroirs magiques… Oh ! oui, j’ai été contente de le voir flamber, votre Paris… C’est moi qui remplissais les boîte des pétroleuses, et je les conduisais moi-même aux bons en-