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Elle répéta gravement :

« Mélusine. »

Sous sa forte moustache de colonel de dragons, le président eut un sourire, mais il continua sans sourciller :

« Votre âge ?

— Je ne sais plus.

— Votre profession ?

— Je suis fée !… »

Pour le coup l’auditoire, le conseil, le commissaire du gouvernement lui-même, tout le monde partit d’un grand éclat de rire ; mais cela ne la troubla point, et de sa petite voix claire et chevrotante, qui montait haut dans la salle et planait comme une voix de rêve, la vieille reprit :

« Ah ! les fées de France, où sont-elles ? Toutes mortes, mes bons messieurs. Je suis la dernière ; il ne reste plus que moi… En vérité, c’est grand dommage, car la France était bien plus belle quand elle avait encore ses fées. Nous étions la poésie du pays, sa foi, sa candeur, sa jeunesse. Tous les endroits que nous hantions, les fonds de parcs embroussaillés, les pierres des fontaines, les tourelles des vieux châteaux, les brumes d’étangs, les grandes landes marécageuses recevaient de notre présence je ne sais quoi de magique et d’agrandi. À la clarté fantastique des légendes, on nous