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MONOLOGUE À BORD



Depuis deux heures, tous les feux sont éteints, tous les abords fermés. Dans la batterie basse qui nous sert de dortoir, il fait noir et lourd, on étouffe. J’entends les camarades qui se retournent dans leurs hamacs, rêvent tout haut, gémissent en dormant. Ces journées sans travail, où la tête seule marche et se fatigue, vous font un mauvais sommeil, plein de fièvres et de soubresauts. Mais même ce sommeil-là, moi je suis long à le trouver. Je ne peux pas dormir ; je pense trop.

En haut, sur le pont, il pleut. Le vent souffle. De temps en temps, quand le quart change, il y a une cloche qui sonne dans le brouillard, tout au bout du navire. Chaque fois que je l’entends, ça me rappelle mon Paris et le coup de six heures dans les fabri-