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soleils de mai qui emplissent les fruiteries de bottes de lilas et de cerises en bouquets. Malgré la fusillade lointaine et les appels des clairons au coin des rues, tout ce vieux quartier du Marais gardait sa physionomie paisible. Il y avait du dimanche dans l’air, des rondes d’enfants au fond des cours, de grandes filles jouant au volant devant les portes, et cette petite silhouette blanche, qui trottait au milieu de la chaussée déserte dans un bon parfum de pâte chaude, achevait de donner à ce matin de bataille quelque chose de naïf et d’endimanché. Toute l’animation du quartier semblait s’être répandue dans la rue de Rivoli. On traînait des canons, on travaillait aux barricades ; des groupes à chaque pas, des gardes nationaux qui s’affairaient. Mais le petit pâtissier ne perdit pas la tête. Ces enfants-là sont si habitués à marcher parmi les foules et le brouhaha de la rue ! C’est aux jours de fête et de train, dans l’encombrement des premiers de l’an, des dimanches gras, qu’ils ont le plus à courir ; aussi les révolutions ne les étonnent guère.

Il y avait plaisir vraiment à voir la petite barrette blanche se faufiler au milieu des képis et des baïonnettes, évitant les chocs, balancée gentiment, tantôt très vite, tantôt avec une lenteur forcée où l’on sentait encore la grande envie de courir. Qu’est-ce que cela lui faisait à