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« — Tirez sur le Louvre… tirez sur le Palais-Royal. »

« Alors le vieux pointait les pièces, et les obus s’en allaient sur la ville à toute volée. Ce qui se passait en bas, personne de nous ne le savait au juste. On entendait la fusillade se rapprocher petit à petit ; mais les fédérés ne s’en inquiétaient pas. Avec les feux croisés de Chaumont, de Montmartre, du Père-Lachaise, il ne leur paraissait pas possible que les Versaillais pussent avancer. Ce qui les dégrisa, c’est le premier obus que la marine nous envoya en arrivant sur la butte Montmartre.

« On s’y attendait si peu !

« Moi-même j’étais au milieu d’eux, appuyé contre Morny, en train de fumer ma pipe. En entendant venir les bombes, je n’eus que le temps de me jeter par terre. D’abord nos canonniers crurent que c’était une erreur de tir, ou quelque collègue en ribote… Mais va te promener ! Au bout de cinq minutes, voilà Montmartre qui éclaire encore, et un autre pruneau qui nous arrive, aussi d’aplomb que le premier. Pour le coup, mes gaillards plantèrent là leurs canons et leur mitrailleuse et se sauvèrent à toutes jambes. Le cimetière n’était pas assez large pour eux. Ils criaient :

« — Nous sommes trahis… Nous sommes trahis… »