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leur feu que d’aller aux avant-postes ; et je verrai toujours cette bonne tête de fabuliste, son képi sur l’oreille et sa jugulaire au menton, soulignant tous les mots de sa chansonnette, et nous décochant son refrain d’un air malicieux :

Facun pour foi… facun pour foi.

Pendant ce temps, le canon chantait, lui aussi, mêlant sa basse profonde aux roulades des mitrailleuses. Il disait les blessés mourant de froid dans la neige, l’agonie aux revers des routes dans des mares de sang gelé, l’obus aveugle, la mort noire arrivant de tous côtés à travers la nuit…

Et le concert de la huitième allait toujours son train !

Maintenant nous en étions aux gaudrioles. Un vieux rigolo, l’œil éraillé et le nez rouge, se trémoussait sur l’estrade, dans un délire de trépignements, de bis, de bravos. Le gros rire des obscénités dites entre hommes épanouissait toutes les figures. Du coup, la cantinière s’était réveillée et, serrée dans la foule, dévorée par tous ces yeux, se tordait de rire, elle aussi, pendant que le vieux entonnait de sa voix de rogomme : Le bon Dieu, saoul comme un…

Je n’y tenais plus ; je sortis. Mon tour de faction allait venir ; mais tant pis ! il me fallait de l’espace et de l’air et je marchai devant