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leurs fenêtres mal jointes, leurs portes toujours ouvertes, et ces quinquets fumeux tout obscurcis de brume, comme des falots en plein vent. Impossible de lire, de dormir, de s’asseoir. Il fallait inventer des jeux de gamins pour se réchauffer, battre la semelle, courir autour des baraques. Cette inaction bête, si près de la bataille, avait quelque chose de honteux et d’énervant, cette nuit-là surtout. Bien que la canonnade eût cessé, on sentait qu’une terrible partie se préparait là-haut, et, de temps en temps, quand les feux électriques des forts atteignaient ce côté de Paris, dans leur mouvement circulaire, on voyait des troupes silencieuses, massées au bord des trottoirs, d’autres qui remontaient l’avenue en nappes sombres et semblaient ramper à terre, rapetissées par les hautes colonnes de la place du Trône.

J’étais là tout glacé, perdu dans la nuit de ces grands boulevards. Quelqu’un me dit :

« Venez donc voir à la huitième… Il paraît qu’il y a un concert. »

J’y allai. Chacune de nos compagnies avait sa baraque ; mais celle de la huitième était bien mieux éclairée que les autres et bourrée de monde. Des chandelles piquées au bout des baïonnettes allongeaient de grandes flammes ombrées de fumées noires, qui frappaient en plein sur toutes ces têtes d’ouvriers, vulgaires,