Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/195

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cirés, les factions monotones aux portes des mairies devant la place mouillée de ce gâchis d’hiver qui reflète la ville dans ses ruisseaux, la police des rues, les patrouilles dans les flaques d’eau, les soldats qu’on ramassait ivres, errants, les filles, les voleurs, et ces matins blafards où l’on rentrait avec un masque de poussière et de fatigue, des odeurs de pipe, de pétrole, de vieux varech collées aux vêtements. Et les longues journées bêtes, les élections d’officiers pleines de discussions, de papotages de compagnie, les punchs d’adieu, les tournées de petits verres, les plans de bataille expliqués sur des tables de café avec des allumettes, les votes, la politique et sa sœur la sainte flâne, cette inaction qu’on ne savait comment remplir, ce temps perdu qui vous enveloppait d’une atmosphère vide où l’on avait envie de s’agiter, de gesticuler. Et les chasses à l’espion, les défiances absurdes, les confiances exagérées, la sortie en masse, la trouée, toutes les folies, tous les délires d’un peuple emprisonné… Voilà ce que je retrouve, affreux képi, en te regardant. Tu les as eues toutes, toi aussi, ces folies-là. Et si le lendemain de Buzenval, je ne t’avais pas jeté en haut d’une armoire, si j’avais fait comme tant d’autres qui se sont obstinés à te garder, à t’orner d’immortelles, de galons d’or, à rester des numéros dépareillés