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chaque fois entendre traîner le sabre d’un uhlan et je restais là, l’arme haute, et le qui vive ! aux dents… Tout à coup la pluie devenait plus froide. Le ciel blanchissait sur Paris. On voyait monter une tour, une coupole. Un fiacre roulait au loin, une cloche sonnait. La ville géante s’éveillait et dans son premier frisson matinal, secouait un peu de vie autour d’elle. Un coq chantait de l’autre côté du talus… À mes pieds, dans le chemin de ronde encore noir, passait un bruit de pas, un cliquetis de ferraille ; et à mon « Halte-là ! qui vive ? » lancé d’une voix terrible, une petite voix, timide et grelottante, montait vers moi dans le brouillard :

« Marchande de café ! »

Que voulez-vous ! On était alors aux premiers jours du siège, et nous nous imaginions, pauvres miliciens naïfs, que les Prussiens, passant sous les feux des forts, allaient arriver jusqu’au pied du rempart, appliquer leurs échelles et grimper une belle nuit au milieu des hourras et des lances à feu agitées dans les ténèbres… Avec ces imaginations-là, vous pensez si on s’en donnait des alertes… Presque toutes les nuits, c’étaient des : « Aux armes ! aux armes ! », des réveils en sursaut, des bousculades à travers les faisceaux renversés, des officiers effarés qui nous criaient : « Du sang-