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plus noires. La place de sa croix arrachée le brûlait comme une blessure ouverte. Et tout le temps, il pensait :

« Que diront mes cavaliers ? Que diront mes femmes ? »

Alors il lui venait des bouffées de rage. Il se voyait prêchant la guerre sainte, là-bas, sur les frontières du Maroc toujours rouges d’incendies et de batailles ; ou bien courant les rues d’Alger à la tête de son goum, pillant les Juifs, massacrant les chrétiens et tombant lui-même dans ce grand désordre où il aurait caché sa honte. Tout lui paraissait possible plutôt que de retourner dans sa tribu… Tout à coup, au milieu de ses projets de vengeance, la pensée de l’Emberour jaillit en lui comme une lumière.

L’Emberour !… Pour Si-Sliman, comme pour tous les Arabes, l’idée de justice et de puissance se résumait dans ce seul mot. C’était le vrai chef des croyants de ces musulmans de la décadence ; l’autre, celui de Stamboul, leur apparaissait de loin comme un être de raison, une sorte de pape invisible qui n’avait gardé pour lui que le pouvoir spirituel, et dans l’hégire où nous sommes on sait ce que vaut ce pouvoir-là.

Mais l’Emberour avec ses gros canons, ses zouaves, sa flotte en fer !… Dès qu’il eut pensé