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eu erreur… Ce n’est pas toi qu’on voulait décorer ; c’est le kaïd des Zoug-Zougs… Il faut rendre ta croix. »

La belle tête bronzée de l’aga rougit comme si on l’avait approchée d’un feu de forge. Un mouvement convulsif secoua son grand corps. Ses yeux flambèrent… Mais ce ne fut qu’un éclair. Il les baissa presque aussitôt, et s’inclina devant le gouverneur.

« Tu es le maître, seigneur », lui dit-il, et, arrachant la croix de sa poitrine, il la posa sur une table. Sa main tremblait ; il y avait des larmes au bout de ses longs cils. Le vieux Pélissier en fut touché.

« Allons, allons, mon brave, ce sera pour l’année prochaine. »

Et il lui tendait la main d’un air bon enfant.

L’aga feignit de ne pas la voir, s’inclina sans répondre et sortit. Il savait à quoi s’en tenir sur la promesse du maréchal, et se voyait à tout jamais déshonoré par une intrigue de bureau.

Le bruit de sa disgrâce s’était déjà répandu dans la ville. Les Juifs de la rue Bab-Azoun le regardaient passer en ricanant. Les marchands maures, au contraire, se détournaient de lui d’un air de pitié ; et cette pitié lui faisait encore plus mal que ces rires. Il s’en allait, longeant les murs, cherchant les ruelles les