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les boulevards, de groupe en groupe, pérorait au milieu de la foule silencieuse, plein d’espoir, de bonnes nouvelles, sûr du succès malgré tout, vous répétant vingt fois de suite que « les cuirassiers blancs de Bismarck avaient été écrasés jusqu’au dernier… »

Chose singulière ! Déjà Chauvin ne me semblait plus si ridicule. Je ne croyais pas un mot de ce qu’il disait, mais c’est égal, cela me faisait plaisir de l’entendre. Avec tout son aveuglement, sa folie d’orgueil, son ignorance, on sentait dans ce diable d’homme une force vive et tenace, comme une flamme intérieure qui vous réchauffait le cœur.

Nous en eûmes bien besoin de cette flamme pendant les longs mois du siège et ce terrible hiver de pain de chien, de viande de cheval. Tous les Parisiens sont là pour le dire ; sans Chauvin, Paris n’aurait pas tenu huit jours. Dès le commencement, Trochu disait : « Ils entreront quand ils voudront. »

« Ils n’entreront pas », disait Chauvin. Chauvin avait la foi, Trochu ne l’avait pas. Chauvin croyait à tout, lui ; il croyait aux plans notariés, à Bazaine, aux sorties ; toutes les nuits il entendait le canon de Chanzy du côté d’Étampes, les tirailleurs de Faidherbe derrière Enghien, et, ce qu’il y a de plus fort, c’est que nous les entendions, nous aussi, tellement