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porte-enseigne s’avançait pour chercher un reçu. Raides, impassibles, deux officiers prussiens surveillaient le chargement.

Et vous vous en alliez ainsi, ô saintes loques glorieuses, déployant vos déchirures, balayant le pavé tristement comme des oiseaux aux ailes cassées ! Vous vous en alliez avec la honte des belles choses souillées, et chacune de vous emportait un peu de la France. Le soleil des longues marches restait entre vos plis passés. Dans les marques des balles vous gardiez le souvenir des morts inconnus, tombés au hasard sous l’étendard visé…

« Hornus, c’est à toi… On t’appelle… Va chercher ton reçu… »

Il s’agissait bien d’un reçu !

Le drapeau était là, devant lui. C’était bien le sien, le plus beau, le plus mutilé de tous… Et, en le revoyant, il croyait être encore là-haut sur le talus. Il entendait chanter les balles, les gamelles fracassées et la voix du colonel : « Au drapeau, mes enfants !… » Puis ses vingt-deux camarades par terre, et lui, vingt-troisième, se précipitant à son tour pour relever, soutenir le pauvre drapeau qui chancelait faute de bras. Ah ! ce jour-là il avait juré de le défendre, de le garder jusqu’à la mort. Et maintenant…

De penser à cela, tout le sang de son cœur