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SOUVENIR DU FORT MONTROUGE


Tout en haut du fort, sur le bastion, dans l’embrasure des sacs de terre, les longues pièces de marine se dressaient fièrement, presque droites sur leurs affûts, pour faire tête à Châtillon. Ainsi pointées, la gueule en l’air, avec leurs anses des deux côtés comme des oreilles, on aurait dit de grands chiens de chasse aboyant à la lune, hurlant à la mort… Un peu plus bas, sur un terre-plein, les matelots, pour se distraire, avaient fait comme en un coin de navire une miniature de jardin anglais. Il y avait un banc, une tonnelle, des pelouses, des rocailles et même un bananier ; pas bien grand par exemple, guère plus haut qu’une jacinthe ; mais c’est égal ! il venait bien tout de même, et son panache vert faisait frais à l’œil, au milieu des sacs de terre et des piles d’obus.

Oh ! le petit jardin du fort Montrouge ! Je voudrais le voir entouré d’une grille, et qu’on y mît une pierre commémorative où seraient les noms de Carvès, de Desprez, de Saisset et de tous les braves marins qui sont tombés là, sur ce bastion d’honneur.