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mouchoir de couleur serré autour de la tête. De la place où nous sommes, ce serait un joli coup de fusil. Mais à quoi bon ?… Les éclaireurs savent ce qu’ils voulaient. Maintenant vite à la barque ; le marinier commence à jurer. Nous repassons la Marne sans encombre… Mais à peine abordés, voilà des voix étouffées qui nous appellent de l’autre rive :

« Ohé ! du bateau !… »

C’est mon amateur de bottes de tout à l’heure et trois ou quatre de ses camarades qui ont essayé de pousser jusqu’à la mairie et qui reviennent précipitamment. Par malheur, il n’y a plus personne pour aller les chercher. Le marinier a disparu.

« Je ne sais pas ramer. » me dit assez piteusement le sergent des éclaireurs blotti avec moi dans un trou du bord de l’eau. Pendant ce temps, les autres s’impatientent :

« Mais venez donc ! mais venez donc ! »

Il faut y aller. Rude corvée. La Marne est lourde et dure. Je rame de toutes mes forces, et tout le temps je sens dans mon dos le Saxon de là-haut qui me regarde, immobile derrière son arbre…

En abordant, un des éclaireurs saute avec tant de précipitation que la barque se remplit d’eau. Impossible de les emmener tous sans s’exposer à couler. Le plus brave reste sur la