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petits zouaves encapuchonnés et lestes, lignards voûtés, coupés en deux, leurs mouchoirs bleus sous le képi autour des oreilles, tout cela grouille et flâne par les rues, se bouscule à la porte de deux épiciers restés ouverts. Une petite ville d’Algérie.

Enfin voici la campagne. Longue route déserte qui descend vers la Marne. Admirable horizon couleur de perle, arbres dépouillés frissonnant dans la brume. Au fond, le grand viaduc du chemin de fer, sinistre à voir avec ses arches coupées, comme des dents qui lui manquent. En traversant le Perreux, dans une des petites villas du bord du chemin, jardins saccagés, maisons dévastées et mornes, vu derrière une grille trois grands chrysanthèmes blancs échappés au massacre et tout épanouis. J’ai poussé la grille, je suis entré ; mais ils étaient si beaux que je n’ai pas osé les cueillir.

Pris à travers champs et descendu à la Marne. Comme j’arrive au bord de l’eau, le soleil débarbouillé tape en plein sur la rivière. C’est charmant. En face, Petit-Bry, où l’on s’est tant battu la veille, étage paisiblement ses maisonnettes blanches sur la côte au milieu des vignes. De ce côté-ci de la rivière, une barque dans les roseaux. Sur la rive, un groupe d’hommes qui causent en regardant le coteau vis-à-vis. Ce sont des éclaireurs que l’on envoie