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à une petite baraque que nous avions là-bas au bord de l’eau et dont nous étions sans nouvelles depuis le siège. Moi, ça me chiffonnait d’emmener le gamin. Je savais que nous allions nous trouver avec les Prussiens, et comme je n’en avais pas encore vu en face, j’avais peur de me faire arriver quelque histoire. Mais la mère en tenait pour son idée : « Va donc ! va donc ! ça lui fera prendre l’air à cet enfant. »

« Le fait est qu’il en avait besoin, le pauvre petit, après ses cinq mois de siège et de moisissure !

« Nous voilà donc partis tous les deux, à travers champs. Je ne sais pas s’il était content, le mioche, de voir qu’il y avait encore des arbres, des oiseaux, et de s’en donner de barboter dans les terres labourées ! Moi, je n’y allais pas d’aussi bon cœur ; il y avait trop de casques pointus sur les routes. Depuis le canal jusqu’à l’île on ne rencontrait que ça. Et insolents !… Il fallait se tenir à quatre pour ne pas taper dessus… Mais où je sentis la colère me monter, là, vrai ! c’est en entrant dans Villeneuve, quand je vis nos pauvres jardins tout en déroute, les maisons ouvertes, saccagées, et tous ces bandits installés chez nous, s’appelant d’une fenêtre à l’autre et faisant sécher leurs tricots de laine sur nos per-