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Sitôt votre lettre reçue, j’ai confié Baïa à son frère, loué une chaise de poste, fait cinquante lieues ventre à terre, et me voilà juste à temps pour vous arracher à la brutalité de ces rustres… Qu’est-ce que vous avez donc fait, juste Dieu ! pour vous attirer cette méchante affaire ?

— Que voulez-vous, préïnce ?… De voir ce malheureux lion avec sa sébile aux dents, humilié, vaincu, bafoué, servant de risée à toute cette pouillerie musulmane…

— Mais vous vous trompez, mon noble ami. Ce lion est, au contraire, pour eux un objet de respect et d’adoration. C’est une bête sacrée, qui fait partie d’un grand couvent de lions, fondé, il y a trois cents ans par Mohammed-ben-Aouda, une espèce de trappe formidable et farouche, pleine de rugissements et d’odeurs de fauve, où des moines singuliers élèvent et apprivoisent