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être se sentait-il enveloppé de cette tiédeur vivifiante dont les jardiniers, qui soignent une plante rare, entourent la fibre délicate, le bourgeon chétif. Quant à la reine, courbée sur sa tapisserie, elle écoutait venir à elle avec une surprise délicieuse cette parole qu’elle attendait désespérément depuis des années, qui répondait à ses pensées les plus secrètes, les appelait, les secouait… Si longtemps elle avait rêvé seule ! Tant de choses qu’elle n’aurait su dire, et dont Élisée lui donnait la formule ! Devant lui, dès le premier jour, elle se sentit comme un musicien inconnu, un artiste inexprimé, devant l’exécutant prestigieux de son œuvre. Ses plus vagues sentiments sur cette grande idée de royauté prenaient corps et se résumaient magnifiquement, très simplement aussi, puisqu’un enfant, un tout petit enfant, pouvait presque les comprendre. Tandis qu’elle regardait cet homme, ses grands traits animés de croyance et d’éloquence, elle voyait en opposition la jolie figure indolente, le sourire indécis de Christian, elle entendait l’éternel : « À quoi bon ? » de tous ces rois découronnés, les caquetages des boudoirs princiers. Et c’était ce plébéien, ce fils de tisserand — dont elle connaissait l’histoire — qui avait recueilli la tradition perdue, conservé les reliques et la châsse, le feu sacré dont la flamme était visible en ce moment sur son