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LES ROIS EN EXIL

hésitants, aussi émus l'un que l'autre de leur première entrevue. Le petit prince reconnaissait vaguement cette tête énorme et fulgurante qu'on lui avait montrée la nuit de Noël dans le crépuscule religieux de la chapelle, et que son imagination, tout encombrée des contes bleus de madame de Silvis, avait assimilée à quelque apparition du géant Robistor ou de l’enchanteur Merlin. Et l’impression d’Élisée était bien aussi chimérique, lui qui dans ce frêle petit garçon, vieillot et maladif, au front déjà plissé comme s’il eût porté les six cents ans de sa race, croyait voir un chef prédestiné, un conducteur d’hommes et de peuples, et lui disait gravement, la voix tremblante :

— Monseigneur, vous serez roi un jour… il faut que vous appreniez ce que c’est qu’un roi… Écoutez-moi bien, regardez-moi bien, et ce que ma bouche n’exprimera pas assez clairement, le respect, de mes yeux vous le fera comprendre…

Alors, penché sur cette petite intelligence au ras du col, avec des mots et des images pour elle, il lui expliquait le dogme du droit divin, les rois en mission sur la terre, entre les peuples et Dieu, chargés de devoirs, de responsabilités que les autres hommes n’ont pas, et qui leur sont imposés depuis l’enfance… Que le petit prince comprît parfaitement ce qu’on lui disait, ce n’est guère probable ; peut--