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ver, un coin frileux loin du bruit domestique, orné de claires tentures, de plantes vertes à tous ses angles, elle se tenait maintenant des jours entiers, inactive, devant le jardin raviné et son fouillis de branches grêles hachant l’horizon gris, comme une plaque d’eau-forte, avec un mélange de verdures foncées et résistantes que les houx, les buis conservaient même sous la neige dont leurs branches aiguës perçaient la blancheur. Sur les trois vasques superposées de la fontaine, les nappes d’eau retombantes prenaient un ton d’argent froid ; et au delà de la haute grille qui longeait l’avenue Daumesnil, de temps en temps rompant le silence et la solitude de deux lieues de bois, les tramways à vapeur passaient en sifflant, leur longue fumée rejetée en arrière, si lourde à se disperser dans l’air jaune, que Frédérique pouvait la suivre longtemps, la voir se perdre peu à peu, lente et sans but comme sa vie.

Ce fut par un matin pluvieux d’hiver qu’Élisée Méraut donna sa première leçon à l’enfant royal, dans ce petit abri de la tristesse et des songeries de la reine, qui prenait ce jour-là l’aspect d’un cabinet d’études : des livres, des cartons étalés sur la table, une lumière répandue d’atelier ou de classe, la mère toute simple dans la robe de drap noir qui serrait sa haute taille, une petite travailleuse en laque roulée en face d'elle, et le maître et l'élève aussi