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LES ROIS EN EXIL

et fragile ; elle avait eu tant de fois à pardonner les écarts de cet homme enfant, qui gardait tout de l’enfance, la grâce, le rire, jusqu’à la cruauté de caprice ; elle l’avait vu si souvent à genoux devant elle après une de ces fautes où il jouait son bonheur et sa dignité, qu’elle s’était complètement découragée du mari et de l’homme, s’il lui restait encore des égards pour le roi. Et ce débat durait presque depuis dix ans, bien qu’en apparence le ménage fût très uni. À ces hauteurs d’existence, avec les appartements vastes, la domesticité nombreuse, le cérémonial qui écarte les distances et comprime les sentiments, ces sortes de mensonges sont possibles. Mais l’exil allait les trahir.

Frédérique avait d’abord espéré que cette dure épreuve mûrirait la raison du roi, éveillerait en lui ces belles révoltes qui font les héros et les vainqueurs. Au contraire, elle voyait grandir dans ses yeux une ivresse de fête et de vertige allumée par le séjour de Paris, son phosphore diabolique, l’incognito, les tentations et la facilité du plaisir. Ah ! si elle avait voulu le suivre, partager cette course folle dans le tourbillon parisien, faire citer sa beauté, ses chevaux, ses toilettes, se prêter de toutes ses coquetteries de femme à la vaniteuse légèreté du mari, un rapprochement aurait été possible. Mais elle restait plus reine que jamais, n’abdiquait rien de ses ambitions, de