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LES ROIS EN EXIL

réverbères comme une garde de feu tout au bord de la longue perspective.

À peine arrivée à Saint-Mandé, Colette montait près de la reine. Le duc, lui, s’installait dans un pavillon-chalet attenant aux communs, à la portée du service et des fournisseurs. On appelait cela l’intendance ; et c’était touchant de voir ce grand vieux assis sur son fauteuil de moleskine parmi la paperasse, les classements, les cartons verts, recevant et réglant de petites factures bourgeoises, lui qui avait eu sous ses ordres à la résidence tout un peuple d’huissiers galonnés. Son avarice était telle, que, même en ne payant pas pour son compte, chaque fois qu’il devait donner de l’argent, il y avait sur sa figure une contraction de tous les traits, un froncement nerveux des rides, comme si on les lui eût serrées avec le cordon d’un sac ; son corps raide et droit protestait, et jusqu’au geste automatique dont il ouvrait la caisse incrustée au mur. Malgré tout, il s’arrangeait pour être toujours prêt, et subvenir, avec les ressources modestes des princes d’Illyrie, au gaspillage inévitable dans une grande maison, aux charités de la reine, aux largesses du roi, même à ses plaisirs qui comptaient dans le budget ; car Christian II s’était tenu parole et passait joyeusement son temps d’exil. Assidu aux fêtes parisiennes, accueilli des grands cercles, recherché dans les salons, son profil nar-