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de maniaque, confiné à un seul étage de l’immense hôtel, se contentant de deux domestiques pour tout service, d’un régime de provincial avare, tandis que les vastes cuisines du sous-sol avec leurs tournebroches immobiles et leurs fourneaux refroidis, restaient aussi fermées que les appartements de gala.

L’arrivée de ses souverains, la nomination de tous les Rosen aux charges de la petite cour, avaient un peu changé les habitudes du vieux duc. D’abord les jeunes gens étaient venus vivre avec lui, leur installation du parc Monceau — une vraie cage moderne aux barreaux dorés — se trouvant trop loin de Vincennes. Tous les matins à neuf heures, par n’importe quel temps, la princesse Colette était prête pour le lever de la reine et montait en voiture à côté du général, dans ce brouillard riverain que les matins d’hiver et d’été laissent traîner jusqu’à midi à la pointe de l’île comme un voile sur le décor magique de la Seine. À cette heure le prince Herbert essayait de reprendre un peu de son sommeil perdu dans un rude service de nuit, le roi Christian ayant dix années de vie de province et de couvre-feu conjugal à rattraper, et pouvant si peu se passer du Paris nocturne que, les théâtres et les cafés fermés, il trouvait en sortant du club un charme à arpenter les boulevards déserts, secs et sonores ou luisants d’eau, avec la ligne des