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les Noëls d’autrefois, les blancs Noëls de son enfance célébrés à la cathédrale, et le retour par les rues fantastiques du quartier des Boucheries, découpées de toits et de lune, vers la table familiale de l’enclos de Rey où les attendait le réveillon : les trois bougies traditionnelles dans la verdure du houx piqué d’écarlate, les estevenons (petits pains de Noël) sentant bon la pâte chaude et les lardons frits. Il s’enveloppait si bien de ces souvenirs de famille, que la lanterne d’un chiffonnier longeant le trottoir lui semblait celle que balançait le père Méraut, marchant en tête de la troupe, à ces retours de messe de minuit.

Ah ! pauvre père qu’on ne reverra plus !…

Et tandis qu’il causait du passé tout bas avec des ombres chères, Élisée arrivait à la rue des Fourneaux, un faubourg à peine bâti, éclairé d’un réverbère, avec de longs bâtiments d’usine surmontés de leurs cheminées droites, des palissades en planches, des murs faits de matériaux de démolitions. Le vent soufflait avec violence des grandes plaines de la banlieue. D’un abattoir voisin venaient des hurlements lamentables, des coups sourds, un goût fade de sang et de graisse ; c’est là qu’on égorge les porcs sacrifiés à Noël, comme aux fêtes de quelque Teutatès.

Le couvent qui tient le milieu de la rue avait son portail large ouvert, et dans sa cour deux