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vait sous l’habit vert à palmes d’un grand seigneur lettré quelqu’une de ses chimères réduite à la raison dans une belle phrase académique, il était heureux, du bonheur désintéressé d’un père qui voit mariées et riches les filles de son cœur, sans avoir aucun droit à leur tendresse. C’était l’abnégation chevaleresque du vieux tisseur de l’enclos de Rey, avec quelque chose de plus large encore, puisque la confiance au succès manquait, cette confiance inébranlable que le brave père Méraut garda jusqu’à son dernier souffle. La veille même de sa mort, — car il mourut presque subitement d’une insolation, après un de ses dîners au bon de l’air, — le vieux chantait à pleine voix : « Vive Henri IV ! » Près de passer, les yeux brouillés, la langue lourde, il disait encore à sa femme : « Tranquille pour les enfants… duc d’Athis… pris bonne note… » Et de ses mains mourantes, il essayait de faire « cra… cra… » sur le drap du lit.

Quand Élisée, prévenu trop tard de ce malheur foudroyant, arriva le matin de Paris, son père était étendu, les mains en croix, immobile et blême, le chevet à la muraille attendant toujours sa tenture neuve. Par la porte de l’atelier laissée ouverte par le passage de la mort qui écarte, délie, élargit tout autour d’elle, on apercevait les métiers au repos, celui du père, abandonné, pareil à la mâture échouée d’un