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LES ROIS EN EXIL

Comme tous ceux de son pays, Élisée Méraut était surtout un homme de parole et de geste. L’idée ne lui venait que debout, au son de sa voix, comme la foudre attirée aux vibrations des cloches. Nourrie de lectures, de faits, de constantes méditations, sa pensée, qui s’échappait de ses lèvres à flots bouillonnants, les mots entraînant les mots dans une sonore éloquence, sortait lentement, goutte à goutte, de sa plume, venue d’un réservoir trop vaste pour cette filtration mesurée et toutes les finesses de l’écriture. Parler ses convictions le soulageait, puisqu’il ne leur trouvait pas d’autre moyen d’écoulement. Il parla donc aux popottes, aux conférences, il parla surtout dans les cafés, ces cafés du quartier Latin qui, dans le Paris accroupi du second empire, quand le livre et le journal se taisaient muselés, faisaient seuls de l’opposition. Chaque buvette alors avait son orateur, son grand homme. On disait : « Pesquidoux du Voltaire est très fort, mais Larminat du Procope est bien plus fort que lui. » De fait, il venait là toute une jeunesse instruite, éloquente, l’esprit occupé de choses élevées, renouvelant avec plus de verve les belles discussions politiques et philosophiques des brasseries de Bonn et d’Heidelberg.

Dans ces forges d’idées, fumeuses et bruyantes, où l’on criait ferme, où l’on buvait plus ferme encore, la verve singulière de ce grand