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LES ROIS EN EXIL

chantaient en se poussant, en se bousculant, ce qui leur valait toujours quelque bourrade du père ; mais la chanson n’était pas interrompue pour si peu et se continuait au milieu des coups, des rires, des sanglots, comme un cantique de possédés sur la tombe du diacre Pàris.

Toujours mêlé aux fêtes de famille, ce nom de roi prenait pour Élisée, en dehors du prestige qu’il garde dans les contes de fées et « l’histoire racontée pour les enfants, » quelque chose d’intime et de familial. Ce qui ajoutait à ce sentiment, c’étaient les lettres mystérieuses sur papier-pelure qui arrivaient de Frohsdorf deux ou trois fois par an pour tous les habitants de l’enclos, des autographes d’une fine écriture à gros doigts, où le roi parlait à son peuple pour lui faire prendre patience… Ces jours-là, maître Méraut lançait sa navette plus gravement que d’ordinaire, et le soir venu, les portes bien closes, il commençait la lecture de la circulaire, toujours la même proclamation douceâtre aux mots vagues comme l’espoir : « Français, on se trompe et l’on vous trompe… » Et toujours le cachet immuable : fides, spes. Ah ! les pauvres gens, ce n’étaient pas la foi ni l’espérance qui leur manquaient.

— Quand le roi reviendra, disait maître Méraut, je m’achèterai un bon fauteuil… Quand le roi reviendra, nous changerons le papier de la chambre.